Faut qu'on parle... Une initiative concrète pour vous faire sortir de votre bulle
Je vous raconte les coulisses d'un projet unique qui peut vous faire sortir concrètement de votre bulle et combattre la fracturation de la société à votre échelle.
Cher·es ami·es, cher·es inconnu·es,
Silence radio depuis la rentrée, mais j’ai une bonne raison. J’ai la chance de travailler sur un projet génial avec Brut et La Croix. Ça s’appelle Faut qu’on parle : une expérience unique en France pour faire se rencontrer en tête-à-tête des gens aux opinions opposées. On vient de lancer le projet. J’espère que ça va vous plaire, que vous allez y participer et en parler un maximum autour de vous.
Dans cet épisode, je vous raconte les coulisses de ce projet : comment et où est née l’idée ? Comment est-elle arrivée en France, portée par ce partenariat inattendu Brut x La Croix ? Pourquoi je crois qu’elle peut faire une différence pour que la France se parle (preuves à l’appui) ? Quels en sont les biais et les limites ? Comment ça marche concrètement et comment vous pouvez y participer ?
J’espère que ça vous donnera envie de vous lancer !
Clara
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Précédemment dans ENSEMBLE(S) :
👉 Dans l’épisode pilote :je vous raconte comment je me suis lancée dans une enquête faite d’expériences personnelles et d’explorations terrain (à la rencontre de groupes de gens que tout semble séparer, mais qui arrivent à accomplir des choses ensemble comme les jurys d’assises, les conventions citoyennes, les alcooliques anonymes, un drôle de quartier à Paris etc.) pour comprendre comment combattre concrètement la fracturation de la société.
👉 Déjà 6 épisodes que vous pouvez retrouver ici.
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AU PROGRAMME DE CET ÉPISODE
Pour (re)trouver le gout des autres :
💡 1 FOCUS : les coulisses du projet sur lequel je travaille avec Brut et La Croix, Faut qu’on parle.
🔥 1 VIDEO QUI FAIT DU BIEN : je vous laisse la découvrir !
🔧 1 ACTION POUR VOUS : participer à Faut qu’on parle et vous en faire le relai
🔊 1 RECOMMANDATION : l’Expo Favela, un événement qui crée des ponts entre deux mondes qui s’ignorent habituellement, les startup et les quartiers populaires. Les 25 et 26 octobre à Paris.
Aujourd’hui je vous parle de… Faut qu’on parle, une expérience unique pour faire se rencontrer en tête-à-tête des gens aux opinions opposées grâce à un algorithme qui « matche » des personnes ayant répondu différemment à des questions clivantes.
Ce projet innovant et fédérateur vient d’être lancé pour la première fois en France (octobre 2024) par les médias Brut et La Croix que j’ai la chance d’accompagner.
1️. Comment est née l’idée ? Un pari fou venu d’Allemagne…
Au départ, ce projet est né en Allemagne sous le nom de “ Germany talks “ (l’Allemagne se parle).
Lors des élections fédérales allemandes de 2017, l’Allemagne vit de grosses tensions entre partisans et opposants à l'accueil des réfugiés. Dans ce contexte d’hostilité croissante, l’équipe du media Die Zeit regrette qu’on se retrouve à débattre derrière nos écrans, en perdant de vue l’être humain derrière les opinions. Ils ont donc imaginé une expérience audacieuse : mettre en relation des gens avec des opinions opposées pour qu’ils puissent discuter, non pas pour se convaincre, mais pour comprendre pourquoi l’autre pense autrement.
C’est avec une certaine appréhension que Die Zeit a lancé ce pari fou : organiser des rencontres entre Allemands avec des visions diamétralement opposées. À la surprise générale, plus de 12 000 personnes se sont inscrites dès la première édition.
Au-delà des chiffres, l’initiative a donné lieu à des rencontres improbables, par exemple entre Anno (ancien flic contre le mariage gay) et Anne (ingénieure en couple avec une femme). Ou encore entre un huissier de justice, porte-parole du parti populiste de droite AfD et une femme travaillant dans un centre de planning familial et membre active des Verts.
C’est comme ça que Germany Talks est devenu bien plus qu’une série de rencontres : un mouvement pour réapprendre à dialoguer. Fort de son succès en Allemagne, cette initiative est devenue My country talks et a rassemblé depuis près de 300 000 participants de plus d’une centaine de pays (Europe, États-Unis, Canada, Thaïlande etc.)
2️. Pourquoi lancer ça en France ?
Au cas où ça vous aurait échappé, on ne peut pas dire que ce soit le grand amour entre les Français en ce moment. Les JO ont fait beaucoup de bien. Pourtant ce n’est pas suffisant. Dans cette étude de Destin Commun qui date d'août 2024, donc après les JO, on voit que :
77 % des Français pensent que la France est divisée (chez les Allemands c’est 50 %, chez les Anglais 54 %).
54 % des Français pensent que les différences entre eux sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble. Pire que ce chiffre dans l’absolu, c’est sa dynamique : + de 40 % en 4 ans.
Alors que nos destins n’ont jamais été autant liés et qu’on a des défis colossaux devant nous, il est urgent qu’on se parle !
3️. Les coulisses : comment ça s’est lancé en France avec l’improbable partenariat Brut x La Croix
Depuis quelques semaines, j’ai la chance de travailler sur ce projet. Comme souvent dans ces cas-là, ça s’est fait de manière un peu improbable par une suite de connexions. Je vous raconte, sachant que c’est vu de ma fenêtre :
Je publie un épisode Comment apprendre à se parler en dehors de nos bulles d’opinion ? pendant les législatives de juin 2024.
Le formidable Tarik Ghezali (Fabrique du Nous) attire mon attention sur My country talks. Je m’étonne que ça n’existe pas encore en France mais il m’informe qu’il a contacté l'équipe de My Country Talks à Berlin et embarqué la Croix (journal dont la promesse est “d’offrir un lieu de dialogue et de réflexion apaisé” ) ainsi que le fonds Bayard Agir pour une société du lien (avec l’incroyable Céline Hyon) pour porter la démarche en France.
J’en parle à Brut, 1er media chez les jeunes (18-35 ans), né sur les réseaux sociaux. Car quelle meilleure façon d’incarner la rencontre improbable de 2 mondes que d’associer Brut à La Croix (media historique de la presse écrite dont la moyenne d’âge est à plus de 65 ans) ? Banco, Brut adopte immédiatement le projet.
La rencontre inattendue entre Brut et La Croix est un succès et en seulement quelques semaines, le projet se lance en France, sous le nom de Faut qu’on parle.
De mon côté, je les aide à designer et diffuser l’initiative pour en faire plus qu’une initiative media : une expérience transformatrice individuellement et un véritable mouvement collectif porté par les citoyens eux-mêmes.
4. Pourquoi j’y crois, preuves à l’appui
Je le vois, votre regard. Vous vous dites : ce serait pas un peu kamikaze cette idée ?
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Alors laissez-moi vous raconter ce qu’il se passe quand 2 inconnu·es aux opinions opposées se rencontrent, en l'occurrence dans le cadre de l’initiative My Country Talks qui a déjà rassemblé 300 000 personnes :
Des chercheurs de Stanford et du MIT se sont même penchés sur l’expérience pour en étudier l’impact sur un échantillon de 15 000 personnes. Voici le condensé de leurs observations :
La polarisation affective (c’est-à-dire les sentiments négatifs à l’égard de ceux qui sont perçus comme le camp adverse) diminue de 77 %. Plus de 90 % des participants affirment mieux comprendre les positions politiques de leur partenaire après les conversations
En revanche, il n'y a eu aucun changement significatif dans la polarisation idéologique : bref, les gens n’ont pas changé d’avis.
Mais souvenez-vous de ce que je vous avais raconté dans un précédent épisode : c’est contre-intuitif, mais la polarisation idéologique a diminué dans les grandes démocraties occidentales depuis la fin de la guerre froide. C’est la polarisation affective qui a considérablement augmenté ces dernières années.
Alors voir qu’une conversation de 2h entre des personnes aux opinions opposées peut réduire drastiquement la polarisation affective, c’est intéressant non ?
(Sources : étude d’impact Blattner-Koener de Stanford et Harvard “ Does Contact Reduce Affective Polarization? Field Evidence from Germany “ de juillet 2023 et données My Country talks sur plus de 200 000 participants)
5. Les limites, biais et défis à garder en tête
Cette initiative est-elle parfaite ou suffisante pour régler nos maux ? Bien sûr que non. Quelles en sont les limites et sur quoi doit-on être vigilant ?
Limites du concept de fragmentation / fracturation : comme l’explique très bien Taoufik Vallipuram (Démocratiser la politique), ce concept a tendance à faire porter la responsabilité de manière égale à tout le monde alors qu’on ne peut pas éluder qu’une petite partie des gens en France (une élite dont je fais partie et dont vous faites probablement partie aussi) concentrent le pouvoir politique, médiatique et économique. Le problème n’est pas juste celui du dialogue et de la coopération, c’est celui de la répartition du pouvoir.
Représentativité limitée : l’étude d’impact sur l’édition allemande de 2021 montre que les 15 000 personnes qui ont participé étaient plus éduqués, plus politisés et issus de milieux socio-économiques plus favorisés que la population générale
→ Question / défi : comment on fait pour en sortir et assurer une vraie diversité ?
Biais de sélection : les résultats de l’étude d’impact sont biaisés par le fait que les participants s’inscrivent volontairement, ce qui signifie qu'ils sont déjà plus ouverts au dialogue que la moyenne de la population.
“One shot” : une conversation c’est déjà ça mais bien sûr c’est très insuffisant. D’ailleurs c’est sans doute pour ça que l’impact sur la polarisation idéologique est limité. Il faut plus du temps et de la répétition pour réussir une transformation individuelle et collective.
Contexte spécifique : qu’est-ce que ça va donner dans un pays latin comme le nôtre ?
Conversations non modérées : les conversations n’étant pas modérées, les gens évitent probablement les sujets les plus conflictuels, limitant l'impact potentiel sur la polarisation idéologique. Si on voulait aller plus loin, on aurait besoin d’un cadre plus strict et d’un modérateur. Cela dit, on prépare un guide de conversation très complet avec un cadre, des règles, des recommandations pour aider à avoir une discussion la plus riche et la plus respectueuse possible.
Pour autant, il me semble que cette initiative a le mérite d’être un premier pas très concret qui :
a le potentiel de toucher énormément de gens si on s’en donne les moyens
peut mettre au centre du débat la question du vivre ensemble
peut donner lieu à beaucoup d’autres projets pour aller plus loin.
6. Comment ça marche concrètement ?
Répondez aux questions : prenez 5 min pour répondre par oui ou non à 9 questions sur des sujets qui nous concernent tous·tes (par exemple Doit-on rétablir l’ISF / Faut-il durcir l’accès aux prestations sociales pour les étrangers ? / Pensez-vous que Me too a un impact positif sur la société ? etc.)
Confirmez votre « match » : en fonction de vos réponses, grâce à un algorithme unique, on vous trouve une personne qui n'est pas d'accord avec vous, mais qui habite près de chez vous et qui souhaite vous écouter et vous parler. Si vous êtes tous les deux d’accord pour vous rencontrer, on vous met en contact.
Rencontrez-vous : le 23 novembre 2024 (ou un autre jour de votre choix si vous n’êtes pas disponible), vous rencontrez votre partenaire pour discuter en personne ou en visio. Le même jour, des milliers d'autres participants feront la même chose avec leur partenaire.
Allez c’est à vous, prenez 5 min pour participer en répondant aux questions !
L’action de cet épisode était évidemment toute trouvée. J’espère que vous allez participer. Tellement que je vous remets le petit bouton ;). J’espère que vous aurez envie de me raconter et de m’envoyer vos impressions au fur-à-mesure. Je compte sur vous !
(si vous avez des questions, on a fait une FAQ que vous trouverez en bas de la page)
Ensuite, vous l’aurez compris, l’enjeu est de réussir à toucher le plus de monde possible pour en faire un vrai mouvement. Mais surtout, des profils les plus variés possibles. Pas simple ! Pour ça, il faut qu’on s’y mette tous·tes et j’ai besoin de vous.
—> Passez le mot autour de vous : à vos voisins, parents, grands-parents, cousins, collègues, amis… et surtout, à ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord.
Sur les réseaux sociaux, relayez avec #FAUTQUONPARLE. Vous pouvez repartir de (ou repartager) mon post Linkedin qui reprend tous les éléments.
Enfin, contactez-moi si vous avez des contacts pour toucher des publics variés ou des communautés spécifiques, par simple retour à ce mail.
Découvrez la conférence TED de Jochen Wegner, le rédacteur en chef du Zeit, qui raconte en 2019 l’initiative My Country Talks (13 minutes).
Je voudrais vous parler d’une autre initiative internationale qui arrive en France et qui crée des ponts improbables entre des mondes qui s’ignorent habituellement, en l’occurrence les quartiers populaires et le monde des start-up. C’est l'Expo Favela Innovation, un événement incroyable créé au Brésil par une grande figure de l'entrepreneuriat brésilien. Au programme, conférences, ateliers, débats, rencontres, concerts…
Je ne pourrai malheureusement pas y être pour ma part car je serai en vacances mais je sais que c’est un événement extraordinaire au Brésil qui a vraiment révélé le potentiel des start-up des favelas. Je ne doute pas que ce sera une initiative importante pour la France aussi, surtout avec Karina Tavares aux commandes.
Date et lieu : ça se passe les 25 et 26 octobre à Paris à l’Albert School, 18 rue de Paradis.
Toutes les infos ICI
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Je vous ai laissés avant l’été avec un suspense insoutenable. Suite à mon exploration des jurys d’assises, ces ensembles de citoyens qui rendent la Justice dans les procès d’assises, je posais cette question : quels sont les ingrédients qui permettent de lier entre eux des gens que tout semble séparer et de leur faire accomplir des choses ensemble ?
J’en ai trouvé 10 à date dans toutes les explorations que j’ai faites : je les publie la prochaine fois !
Hyper intéressant comme retour merci bcp. J’ai tendance à penser (mais je me trompe peut être) que les gens comme la jeune femme dont vous parlez ne représentent pas la majorité des gens même si ce sont eux qu’on entend le plus à la fois sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. Alors ce n’est plus du dialogue et effectivement dans ce cas il vaut mieux juste arrêter…
C'est un chouette projet... et c'est compliqué de mettre en oeuvre un dialogue lorsque le niveau d'éducation est trop disparate. Cet été j'ai accueilli pour la première fois une personne en Wwoofing. C'était une jeune femme d'un milieu socio-culturel à la fois très populaire et très conservateur. Pour des raisons qui me restent mystérieuses, elle tenait absolument à avoir des "débats" "politiques" en insistant sur le fait que c'est justement parce qu'on n'était pas d'accord que c'était intéressant de dialoguer... sauf que le dialogue était impossible en réalité car elle avait la tête farcie de théories fascisantes, et zéro culture historico-politique. Et, honnêtement, en plus, elle était juste... bête. Mais, elle pensait qu'elle s'était "vachement renseigné" sur les sujets qu'elle tentait d'aborder (le conflit israélo-palestien !!! elle était persuadée d'en être experte !!!!). Au début, j'étais patiente et j'essayais de lui donner subrepticement quelques clefs d'historiographie pour que la conversation puisse se faire davantage sur un pied d'égalité. Mais quand elle continuait à soutenir mordicus qu'il n'y avait que les musulmans de toute l'histoire de l'humanité qui avaient commis des violences au nom de la religion, parce que tout bonnement elle ne me CROYAIT PAS quand j'essayais de lui refaire une petite histoire express du christianisme, parce que tout bonnement elle pensait qu'on ne pouvait pas vraiment savoir ce qui s'était passé 150 ans en arrière (sic) parce que les témoins directs étaient morts,... tout ce que je pouvais essayer de lui dire, ça ne faisait que de renforcer son impression que j'étais une intello élitiste qui essayait de la wokiser... en fait je ne vois littéralement pas comment le dialogue est possible dans ces conditions. Moi en tout cas j'ai fini par laisser tomber avec cette fille, je lui ai dit que je ne voulais plus qu'on "débatte" un point c'est tout... Enfin voilà, je voulais faire part de cette expérience, mais je serais quand même intéressée de m'inscrire au projet, merci d'en avoir parlé !