Quel est l'impact de la composition de notre cercle amical sur nous-mêmes et sur la société ?
L’HISTOIRE DU JOUR : Dj Mehdi et l’incroyable diversité de ses amis
Peut-être qu’en cette rentrée 2024, vous avez découvert ou redécouvert l’histoire de DJ Mehdi grâce au génial documentaire DJ Mehdi, Made in France.
C’est l’histoire d’un gars de la banlieue nord de Paris, génie précoce de la musique parti trop tôt (mort d’un accident à 34 ans). Qui a eu une grande influence sur la scène musicale mondiale de la fin des années 90 aux années 2010, et même encore aujourd’hui. Et qui a réussi à relier 2 mondes qui s’ignoraient, voire se méprisaient dans une guerre froide qui ne disait pas son nom : le rap et l’électro.
Le succès phénoménal de la série documentaire (elle a enregistré 4,7 millions de vues depuis sa mise en ligne, le 12 septembre, sur Arte.tv et Youtube), véritable hymne à la réconciliation et au croisement des univers, dit quelque chose, il me semble, de notre besoin de connexion les uns aux autres.
Mais ce qui m’a frappée, c’est que derrière l’histoire hors-norme de la vie de DJ Mehdi, il y a avant ses nombreux amis dont l’incroyable diversité a nourri sa vie affective et créative.
C’est d’ailleurs un de ses amis proches, Thibaut de Longeville, qui a réalisé le documentaire. L'idée lui est venue une semaine après le décès accidentel de Mehdi en 2011. Il a passé 12 ans à collecter des archives et à réaliser des entretiens pour ce projet. Thibaut se considère comme un intime de Mehdi, partageant avec lui des origines mixtes (Thibaut est franco-sénégalais, Mehdi était franco-tunisien).
Par ailleurs, ses meilleurs amis qui témoignent dans le docu sont autant :
des figures emblématiques du rap français des quartiers. Notamment, les membres de la Mafia K'1 Fry, un collectif légendaire du rap français, originaire du Val-de-Marne, connu pour ses textes bruts qui racontent la réalité des quartiers et pour avoir durablement marqué la culture hip-hop en France. Parmi eux, par exemple, Kery James (figure du rap français, connu pour ses textes bruts et engagés. Ils se sont rencontrés adolescents et ont monté le groupe Ideal J), Mokobé et Rim'K (membres du groupe 113 dont les titres Tonton du Bled et Les Princes de la ville sont devenus des classiques qui ont marqué toute une génération).
que des blancs bourgeois stars de la French Touch : Pedro Winter (ex-manager des Daft Punk et fondateur du mythique label Ed Banger Records), Thomas Bangalter (moitié des Daft Punk), Justice, Cassius, Riton (l’autre moitié du duo électro Carte Blanche de Dj Mehdi) etc.
Tous ses amis se retrouvent réunis à son enterrement. Pedro Winter partage son étonnement :
” Un truc qui m’a vraiment frappé c’est de voir qu’on était beaucoup à l’aimer, de tous les horizons. Je me suis nourri de tout cet amour à sa destination pour soigner ma douleur ”.
Mokobé, de son côté :
“ Je vois plein de gens que je ne connais pas, qui ne sont pas de mon milieu et qui pleurent comme moi, qui ont mal comme moi. Même après sa mort, il est en train de nous rassembler ”
(cf l’extrait de 2 minutes dans “La video qui fait du bien” de cette newsletter)
—> Bref, si je vous parle de Dj Mehdi, c’est parce que c’était un rare spécimen d’hétérophilie.
L’hétérophilie, c’est l’intérêt, voire la préférence pour les personnes différentes de soi, alors que notre pente naturelle est plutôt l’homophilie.
Je crois que sa créativité, son génie, son aura étaient une conséquence directe de cette hétérophilie. Et aussi que cette hétérophilie, même si elle a pu surprendre, dérouter, voire déranger au départ autour de lui, a indirectement beaucoup inspiré, ouvert et fait du bien à son entourage.
LE CONCEPT DU JOUR : l’homophilie
Le contraire de l’hétérophilie, c’est l'homophilie : cette tendance à nous lier avec des personnes qui nous ressemblent, que ce soit en termes d'âge, de croyances, de niveau d'éducation, de valeurs, de statut socio-économique, d'origine ethnique etc.
Cette préférence, enracinée dans l'évolution humaine, nous aurait permis de survivre en se protégeant des menaces extérieures.
C’est donc “naturel” et c’est super car, encore aujourd’hui, c’est ce qui facilite les connexions, le sentiment de sécurité, la compréhension mutuelle en créant des liens basés sur des valeurs, des expériences et des perspectives partagées.
Mais passée un certain point, c’est aussi ce qui nous enferme, nous rétrécit, ne nous permet pas de capter la complexité du monde. Et à la fin, affecte notre bien-être individuel et collectif. Ce n’est pas moi qui le dis, mais une très sérieuse étude scientifique qui vient de sortir et qui chiffre même quel est ce seuil.
LE CHIFFRE DU JOUR : plus de 50 % d’amis qui nous ressemblent = impact négatif sur notre bien-être.
📊 Une étude fascinante de l'université de Birmingham, publiée dans Psychological Science et menée par Miguel R. Ramos, vient de sortir. L'étude explore la relation entre la composition des réseaux sociaux amicaux (homophilie vs hétérophilie) et deux aspects clés : la cohésion sociale perçue de manière collective dans les quartiers et le bien-être subjectif des individus.
Elle a été menée sur 40 000 foyers à qui on a demandé de reporter le % d'amis (liens choisis) semblables à eux à partir de 4 critères :
âge
revenus
niveau de diplôme
origines ethniques.
🔄 Le résultat ? Une relation en U inversé entre l'homophilie et la cohésion sociale + le bien-être individuel.
👉 En gros, plus nous sommes entourés d’amis qui nous ressemblent, plus nous nous sentons bien, jusqu'à un certain point. Au-delà d'un seuil de 50 % de similarité, ce sentiment de connexion aux autres et de bien-être commence à se détériorer.
🔥 Conclusion : la diversité de notre cercle amical est un facteur clé de notre bien-être. L'idéal : trouver le juste milieu...
⚠️ 2 bémols quand même :
L’étude a aussi ses limites. La conception transversale de l’étude (ça signifie qu’elle a été faite à un moment précis, comme une photo instantanée) permet de voir les liens entre les variables (comme la composition des réseaux amicaux, la cohésion sociale et le bien-être) à cet instant, mais pas d’affirmer que l’un cause l’autre. En revanche, si l’étude suivait les mêmes personnes sur une période (conception longitudinale), on pourrait observer comment les changements dans leurs réseaux influencent réellement leur cohésion sociale et leur bien-être, et ainsi mieux comprendre les effets dans le temps.
L’hétérophilie est un choix, une démarche active mais elle est aussi et surtout favorisée ou non par le contexte dans lequel on évolue. C’est un luxe, une chance qu’on a, ou pas, d’avoir accès à différents milieux et de pouvoir bouger géographiquement et socialement. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. La responsabilité de se bouger pour cultiver cette ouverture n’est donc pas également répartie entre nous tous et toutes.
C’est à vous !
ON FAIT LE BILAN CALMEMENT
❓Faites votre petit “ bilan d’homogénéité amicale ” : et vous, quel pourcentage de vos amis vous ressemblent selon les 4 critères de l’étude (âge, revenu, origine ethnique, niveau de diplôme) ?
Je vais tout de suite vous mettre à l’aise : personnellement, j’ai encore du boulot si je veux atteindre le seuil de 50 % 😬.
J’ai fait l’exercice en regardant les 70 personnes que j’ai invitées à ma fête de 40 ans sur chacun des 4 critères. Au doigt mouillé ,je dirais :
Origine ethnique = 80 % : si je regarde les photos de cette fête, je compte une poignée de personnes non blanches, d’origine africaine, arabe, asiatique.
Niveau de diplôme = 95 % d’homophilie : la grande majorité de mes amis proches et moins proches ont comme moi au moins un Bac +5. À l’exception de Binette, l’ex-nounou de mes enfants avec qui je suis restée amie, qui n’a jamais fait d’étude, est arrivée en France à 25 ans.
Âge = 70 % d’homophilie : la plupart de mes amis ont à peu près mon âge. Cela dit, à mesure que je vieillis 👵🏻, je commence à en avoir des plus jeunes. Et heureusement, il y a aussi ma chère amie Brigitte (si tu me lis 💙) qui va bientôt avoir 65 ans.
Revenu = 90 % d’homophilie : je pense que 90 % de mes amis gagnent comme moi plus de 50 000 euros par an (ce qui pour rappel nous place dans le top 20 % environ des revenus en France)
Si je fais la moyenne des 4, c’est chaud les marrons : j’atterris sur un indice d’homogénéité amicale d’environ 83 %.
Et vous, ça donne quoi sur ces 4 critères ? Et si vous faites une rapide moyenne, qu’est-ce que ça donne ?
Auriez-vous envie d’ajouter d’autres critères ? Lesquels (moi je me disais qu’on pourrait tirer le fil avec le genre, la localisation, le statut marital et enfant / pas enfant, le genre de boulot, les penchants politiques etc.) ? Dites-moi en commentaire juste après !
ET ACTION…
Si comme moi, vous êtes un peu voire très loin de la barre des 50 %, voici quelques questions / suggestions :
Qui sont vos “ exceptions “ sur chaque critère ? Comment vous pouvez nourrir davantage ces liens-là, même si ce ne sont pas toujours les plus faciles ? Allez hop dès aujourd'hui, et si vous faisiez un petit message à ces exceptions que vous n’avez pas peut-être pas vues depuis un moment pour prendre des nouvelles ?
Dans cette période très polarisée politiquement, comment pouvez-vous rester connectés à des amis qui ne pensent pas comme vous, voire qui ont une vision du monde qui vous dérange ? Et apprendre à DIALOGUER avec eux, pas pour vous convaincre mais pour comprendre ? (cf ci-dessous un peu guide que j’ai écrit pour vous y aider).
Quelles opportunités vous pourriez saisir ou vous créer dans les semaines et mois à venir pour rencontrer des gens différents sur les 4 critères et sur d’autres que vous avez envie de vous donner (sans nécessairement devenir amis) ?
💡 Si vous lisez ça avant le 12/11/24, j’ai une idée pour vous : et si vous rencontriez quelqu’un que vous ne connaissez pas et qui a des opinions différentes des vôtres dans un cadre bienveillant ? Comme près de 6000 autres personnes, participez à Faut qu’on parle, une expérience unique que j’ai la chance de lancer avec Brut et La Croix.
J’ai d’ailleurs écrit un guide de conversation pour échanger avec quelqu’un que vous ne connaissez pas et / ou avec qui vous n’êtes pas d’accord.
Qu’avez-vous pensé de ce focus ? Et de ces suggestions d’action ?
Voilà pour le focus de cette semaine. Revenez à la newsletter principale pour avoir :
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